Lors de l’introduction de la téléconsultation dans le droit français par un avenant à la convention nationale des médecins approuvé le 1er aout 2018, l’objectif était de maintenir la téléconsultation sous le contrôle des médecins et de structures médicales et d’éviter que des sociétés privées s’en empare afin d’éviter notamment une « uberisation » de la médecine.

Ainsi, la téléconsultation devait être effectuée dans le cadre du parcours de soins coordonnés (téléconsultation effectuée par le médecin traitant du patient ou sur adressage du patient à un spécialiste par le médecin traitant). Par exception (absence de médecin traitant, médecin traitant non disponible dans un délai compatible avec l’état santé du patient, urgence notamment), l’accès à un médecin devait se faire par recours à une organisation territoriale coordonnée (communauté professionnelle territoriale de santé , équipe de soins primaires, équipe de soins spécialisés, maison de santé pluriprofessionnelle, centre de santé ou organisation territoriale coordonnée constituée sous une autre forme devant faire l’objet d’une validation par les instances de la convention) référencée par la caisse primaire de son lieu d’implantation et ce, afin de trouver au patient un médecin traitant à proximité de son domicile (notion d’ancrage de proximité ou de territorialité).

Certaines structures privées ont néanmoins tenté d’intervenir sur le marché de la téléconsultation en proposant la mise en relation de patients avec des médecins par le biais notamment de sites Internet, mais ont vu leur fonctionnement censuré par la justice. Par un arrêt du 29 mai 2019, le Conseil d’État a ainsi validé la décision de refus de remboursement par l’assurance maladie de téléconsultations réalisées par les médecins d’une association ayant pour objet de gérer des centres de santé et de télé consultation aux motifs que ces téléconsultations intervenaient sur tout le territoire national et méconnaissaient ainsi le principe de territorialité, mais également que la téléconsultation, constituant un prolongement de la consultation en présentiel, ne pouvait être réalisée par les praticiens d’un centre de santé ne réalisant que des téléconsultations.

Par ailleurs, dans un arrêt du 18 février 2022, la Cour d’appel de Paris a, pour des motifs identiques, ordonné la fermeture définitive d’un site Internet proposant la mise en relation de patients et médecins sur tout le territoire national. La société gérant ce site aurait pu être plus simplement condamnée au seul motif qu’elle ne constituait pas l’une des organisations territoriales coordonnée ayant le monopole de l’organisation des téléconsultations dans des situations justifiant une exception au respect du parcours de soins coordonné.

La situation vient de changer radicalement avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 du 23 décembre 2022 créant un article L. 4080-1 du code de la santé publique précisant que : « Les sociétés de téléconsultation qui ont reçu l’agrément à cette fin des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé, dans des conditions fixées au présent titre, peuvent demander à l’assurance maladie la prise en charge des actes de téléconsultation réalisés par les médecins qu’elles salarient ». Ces sociétés doivent exercer sous la forme de société commerciale et avoir pour objet, à titre exclusif ou non exclusif, de proposer une offre médicale de téléconsultation et répondre à toute une série de critères prévus par la loi (auxquels il est renvoyé) dont le respect des règles de prise en charge par l’assurance maladie fixées par la convention nationale des médecins.

Quelle peut être la place de ces sociétés par rapport notamment aux organisations territoriales coordonnées et leur obligation de respecter le principe de territorialité impliquant d’organiser des téléconsultations à proximité du domicile des patients afin de faire du médecin téléconsultant le futur médecin traitant du patient notamment ?  A priori, leur statut de société commerciale semble peu compatible avec le statut des organisations territoriales coordonnées qui constituent généralement des structures à but non lucratif. Sous cette réserve, il n’est pas impossible que les sociétés de téléconsultation constituent de telles organisations notamment au regard de la possibilité de se créer selon une forme ad hoc après validation par les organismes de la convention.

Il est néanmoins plus probable que ces sociétés prospéreront dans le nouveau cadre juridique de la convention nationale prévoyant une exception au principe de territorialité de la téléconsultation pour les patients résidant dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins pour les téléconsultations de médecine générale (pour les patients n’ayant pas de médecin traitant désigné et en l’absence d’organisation territoriale) et pour les téléconsultations d’autres spécialités en l’absence d’organisation territoriale. Enfin « Pour les téléconsultations de médecine générale et d’autres spécialités, il peut également être dérogé à l’exigence du respect du principe de territorialité, lorsque le patient est orienté par le régulateur du Services d’accès aux soins (SAS) en cas d’échec d’une prise de rendez-vous sur le territoire ».

A l’évidence, la pénurie de médecins sur le territoire national aura eu raison de la méfiance des créateurs de la téléconsultation vis-à-vis des sociétés privées…

Bruno Lorit, avocat associé