Si, parmi le cortège de mesures visant à soutenir les entreprises durant la période de confinement ordonnée pour faire face à la crise sanitaire causée par l’épidémie de Covid-19, il est une des annonces du Président de la République du 16 mars 2020 qui a pu susciter autant d’espoirs que de craintes (selon que l’on se place du côté des preneurs, ou des bailleurs), c’est bien celle de la « suspension des factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que des loyers ».

Pour autant, cette suspension est loin d’être universelle et n’a pas tout à fait les effets annoncés.

Nous débuterons ici une série de trois notes d’information sur ce thème, la présente (I) précisant cette mesure, la suivante (II) les autres mécanismes pouvant bénéficier aux preneurs non visés par cette mesure mais néanmoins impactés par la crise sanitaire que nous traversons, et la dernière (III) les options laissées aux bailleurs ainsi que nos recommandations pratiques.

Covid-19 et suspension des loyers (I) : pour quels locataires et avec quels effets?

  • Les acteurs économiques concernés par la « suspension » des loyers annoncée par le Président de la République

La loi d’urgence sanitaire n° 2020-290 du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement à adopter par voie d’ordonnances toute mesure « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises (…) [NB : celles de moins de 10 salariés et ayant un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros], dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ».

Dans la foulée de ce texte, le gouvernement a adopté l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers (…) des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19, publiée au Journal Officiel le 26 mars suivant.

La lecture combinée de la Loi et de cette Ordonnance a pu refroidir les ardeurs de bien des preneurs, puisque :

  1. la mesure porte uniquement sur les loyers de locaux professionnels et commerciaux. Les preneurs de baux d’habitation ne sont donc pas visés par ces mesures ;
  2. elle concerne les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’Ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, c’est-à-dire celles dont l’activité est « particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».

Les critères d’éligibilité ont été précisés par le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020. Sont concernées :

  1. les entreprises appartenant à la liste de celles qui sont éligibles au fonds de solidarité (fixée à l’article 1er du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 selon des conditions cumulatives), à savoir en substance celles :
    • ayant débuté leur activité avant le 1er février 2020,
    • n’ayant pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020
    • dont l’effectif est inférieur ou égal à 10 salariés,
    • dont le chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 1 million d’euros. Pour les entreprises n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83.333 euros
  2. et qui non seulement ont fait l’objet d’une interdiction d’ouverture au public, mais qui ont également subi une perte de 70 % au moins de leur chiffre d’affaires au mois de mars 2020 (ces conditions étant ici cumulatives).

Par ailleurs et sous la pression du Ministre de l’économie Bruno Le Maire, la Fédération française de l’Assurance a annoncé le 23 mars 2020 alimenter à hauteur de 200 millions d’euros le fonds de solidarité et de soutien de la trésorerie dédié à ces mêmes entreprises, pour pallier au fait que leurs pertes d’exploitation ne sont que rarement couvertes par leurs contrats d’assurance

Les effets de la mesure

Concrètement, le mécanisme prévu par l’Ordonnance interdit, en cas de défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents aux locaux des entreprises concernées :

  • l’application de pénalités financières, intérêts de retard, dommages-intérêts et astreintes,
  • la mise en œuvre de toute clause résolutoire, pénale ou de déchéance,
  • l’activation des garanties ou cautions.

ATTENTION : l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 n’autorise pas le locataire à ne pas payer son loyer, même à titre provisoire. Le terme « suspension » n’est d’ailleurs pas une seule fois employé. Elle interdit simplement au bailleur de réclamer au locataire des intérêts de retard ou d’engager une procédure en résiliation de bail et d’expulsion.

Autrement dit, l’obligation de régler le loyer demeure, mais les effets de la non-exécution de cette obligation sont provisoirement gelés. Plutôt qu’une suspension réelle des loyers, l’ordonnance prévoit juste la neutralisation des effets du non-paiement des loyers et charges.

Ces dispositions s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient après le 12 mars 2020, les effets du non-paiement des loyers étant donc suspendus à compter du 2e trimestre 2020 (que le loyer soit à terme échu ou à échoir) et jusqu’à « l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » [NB : déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020].

Ainsi, les locataires devront bien payer leurs arriérés de loyer à la fin de l’épidémie.

Il est vrai que si la période demeure propice aux espérances les plus folles, les preneurs qui croyaient pouvoir bénéficier d’une véritable franchise de loyer durant la période de confinement en seront bien pour leurs frais.

En outre, en les obligeant à démontrer une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 70 % sur le mois de mars 2020 (soit depuis l’arrêté de fermeture au public donc de facto, pour l’essentiel, sur une période de quinze jours), la plupart des petites entreprises potentiellement concernées par la mesure ne seront pas protégées. On est ainsi très loin de la suspension généralisée du paiement des loyers que la parole présidentielle du 16 mars dernier avait laissé entendre…

Au final, la quasi-totalité des commerçants, locataires de locaux dont la fermeture au public a été ordonnée, reste aujourd’hui exposée à des sanctions pour non-paiement de leurs loyers et charges.

Nous exposerons prochainement les outils offerts aux parties par le droit commun des contrats.

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