Depuis la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19, la pratique du télétravail a connu un réel regain entrainant une variété de situations relativement complexes. Si la pratique existait par le passé, il est maintenant courant de voir des salariés solliciter l’exercice du télétravail à l’étranger, dans un autre Etat membre de l’Union Européenne. Or, ces situations ne sont pas sans incidence pour le salarié concerné comme pour l’employeur. Et elles sont d’autant plus problématiques que la loi est souvent muette sur le sujet. Attention : la question essentielle du titre de séjour hors de l’Union, ne sera pas étudiée dans cet article, celui-ci ayant vocation à s’intéresser au télétravail au sein de l’Union Européenne.

Retour sur les problématiques qui sont susceptibles de se poser :

  • Quelle loi régit le contrat de travail ?

La question peut sembler simple mais elle reste pourtant peu maitrisée par les employeurs. La règle en la matière est la suivante : les parties peuvent déterminer librement, lors de la conclusion du contrat de travail, la loi applicable aux relations de travail. Cependant, il arrive que les parties n’aient pas fait de choix[1].

Dans un tel cas :  (i) si la loi applicable ne peut être déterminée, le contrat de travail est régi par la loi du pays dans lequel, ou à défaut, à partir duquel le salarié, accomplit habituellement son travail ; (ii) à défaut, la loi applicable sera celle du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le salarié ; (iii) s’il résulte des circonstances entourant la relation de travail que le contrat de travail entretient des relations étroites avec un autre pays, la loi de ce pays sera alors applicable.

En tout état de cause, quelle que soit la loi applicable choisie par les parties, le salarié ne pourra être privé de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé (« règles d’ordre public »). 

Si nous prenons un exemple simple d’un salarié français, ayant conclu un contrat de travail en France avec application de loi française, télétravaillant depuis l’Italie pour des raisons familiales : la loi applicable sera la loi française (loi prévue dans le contrat de travail) et les règles d’ordre public italiennes (ces lois de police peuvent notamment porter sur le salaire minimum, la durée du travail, la santé et la sécurité des salariés, ou encore la procédure de licenciement)

  • Quelle responsabilité pour l’employeur ?

Si l’on prend l’exemple de la France, la présence d’un télétravailleur expose l’employeur d’origine au respect de l’obligation de sécurité[2] qui impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires permettant d’assurer la protection de la santé et garantir la sécurité du salarié (suivi de la charge de travail, organisation de la durée du travail, mise à disposition de moyens nécessaires et adaptés à l’exercice des missions, etc.).

Dans ces conditions, l’employeur, faisant face à une demande de télétravail d’un salarié au sein d’un Etat membre, doit faire preuve d’une grande vigilance et vérifier systématiquement les obligations impératives existant au sein de l’Etat d’accueil afin de prendre toutes les mesures adéquates et éviter toute difficulté ultérieure.

Il n’est pas inutile de faire un point avec son assureur pour vérifier que le salarié concerné est bien couvert.

  • Quelle imposition pour le télétravailleur ?

Question cruciale que se posera nécessairement le salarié : celle du lieu d’imposition dont les conséquences financières sont loin d’être neutres, l’impôt sur le revenu n’étant a priori pas le même en France et en Irlande !

En principe, toute personne est considérée comme domiciliée fiscalement en France si elle vit de manière stable et permanente en France ou qu’elle exerce en France une activité professionnelle salariée ou non à moins que celle-ci ne soit accessoire [3].

En conséquence, le télétravailleur étranger qui viendrait s’installer de manière permanente en France et qui aurait établi sa résidence fiscale en France, devra déclarer ses revenus et s’acquitter de l’impôt sur l’ensemble de ses revenus. De même, le télétravailleur qui irait s’installer dans un autre Etat membre, pourrait, au même titre et en l’absence de cas particuliers, être tenu de se conformer à la loi fiscale de cet Etat d’accueil. Ces considérations fiscales devraient être évoquées et clarifiées avant la mise en œuvre effective du télétravail d’un salarié au sein d’un Etat membre.

  • Quelle protection sociale pour le salarié ?

Là encore, le sujet n’est pas neutre en ce qu’il implique des variations très importantes de cotisations sociales à payer d’un Etat membre à un autre. Sauf cas de détachement temporaire caractérisé, lorsque la personne exerce une activité salariée au sein d’un Etat membre, elle est soumise à la législation de cet Etat membre.

Dès lors, un télétravailleur d’un Etat membre exerçant habituellement ses fonctions en France devrait être soumis à la législation de la sécurité sociale française, et inversement. Cette affiliation ne sera pas sans conséquence pour l’employeur, puisque ce dernier devra alors s’enregistrer auprès des services de sécurité sociale et établir des bulletins de salaire conformes à la législation locale française. Il est rappelé que, lorsque la personne exerce une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres, elle est soumise à la législation de l’Etat membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat membre[4] (au moins 25% de l’activité globale appréciée au regard du temps de travail et/ou de la rémunération pour les salariés).

Les impacts du télétravail pouvant être conséquents, les entreprises sont invitées à procéder à un audit détaillé sur les lois de police sociales applicables dans les pays d’accueil ; les droits et obligations des employeurs ; les incidences sociales et fiscales et sur les formalités qui pourraient être requises dans le pays d’accueil afin d’encadrer ces situations de télétravail et ainsi éviter toute difficulté avec ces salariés. Le télétravail s’étant intensifié suite à la crise sanitaire de 2020, la jurisprudence reste encore peu foisonnante sur ces sujets. Cependant, il est fort probable que ces situations donnent lieu à de vastes contentieux dans les années à venir.

Avant de laisser partir votre salarié en télétravail à l’étranger, posez-vous donc les bonnes questions !

L’équipe sociale du cabinet LERINS se tient à votre disposition pour tout complément d’information.

[1] Règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I)
[2] Article L.4121-1 du Code du travail et suivants.
[3] Articles 4A et 4B du Code général des impôt
[4] Article 13 § 1 du règlement n°883/2004