Par Cécile Dupas, Avocat Associé et arbitre de la Chambre Arbitrale Internationale de Paris (Section « ACPI ») et Irina Guérif, Secrétaire Générale de la Chambre Arbitrale Internationale de Paris.

Association des Conseils en Propriété Industrielle (ACPI), octobre 2015

Introduction

L’Association des Conseils en Propriété Industrielle (ACPI) est une association très ancienne créée à la fin du XIXe siècle, bien avant la règlementation de la profession, afin d’organiser l’activité des conseils en brevets et en marques de l’époque autour de principes forts de déontologie et de qualité de travail. Elle participe au développement de la propriété industrielle notamment en matière de solutions alternatives de résolution des conflits. Elle a délégué la mission de l’organisation matérielle des procédures arbitrales à un centre institutionnel d’arbitrage indépendant qui est la Chambre Arbitrale Internationale de Paris, conformément à un règlement spécifique qui propose une liste d’arbitres hautement spécialisés dans cette matière.

I –  Aperçu de la typologie des litiges en matière de propriété industrielle

En France, selon la loi, les actions civiles relatives aux brevets d’invention sont exclusivement portées devant le Tribunal de Grande Instance, aujourd’hui le Tribunal de Grande Instance de Paris, seul compétent1. Mais la loi poursuit en précisant que ces dispositions légales ne font pas obstacle au recours à l’arbitrage, procédure pour laquelle, si elles la choisissent, les parties en litige doivent expressément manifester leur accord. Cet accord se manifeste généralement par une clause compromissoire présente dans un contrat signé par les parties qu’il s’agisse d’un contrat de licence de droit de propriété industrielle, par exemple de brevet, d’un contrat de cession de brevet, d’un contrat de transfert de savoir-faire, breveté ou non, contrat de transfert de technologie etc. Lorsque des difficultés d’exécution se présentent, le recours à l’arbitrage pour rechercher une solution à ces difficultés d’exécution contractuelle n’a jamais réellement posé problème. Mais le recours à l’arbitrage peut également intervenir lorsque, une fois le litige né, les parties décident d’un commun accord d’y recourir. On est alors en présence d’un compromis d’arbitrage par lequel les parties pourraient décider de porter devant un Tribunal arbitral un litige né de l’exécution de relations contractuelles, ou bien un problème de responsabilité non contractuelle et donc pourquoi pas, un problème de contrefaçon de brevet. Avant donc de comparer les avantages et inconvénients relatifs des procédures judiciaires ou arbitrales en matière de contentieux de brevet, il apparaît ainsi nécessaire de déterminer si tous les litiges sont arbitrables ou si seulement certains posent difficultés (B) et, pour cela, de passer rapidement en revue les types de problèmes qui peuvent être soulevés à l’occasion d’un litige portant sur un brevet d’invention (A).

A. Les difficultés pouvant se présenter à l’occasion d’un litige en brevet d’invention

Globalement, cinq types de contentieux peuvent se présenter : – le contentieux de la validité d’un brevet ou de son annulation, – le contentieux de la contrefaçon, – le contentieux de la propriété du brevet, – le contentieux des contrats d’exploitation des brevets, – le contentieux de l’éviction, c’est-à-dire tout ce qui peut concerner les mesures d’expropriation, de licence d’office ou de licence obligatoire. Pour déterminer ce qui est arbitrable et ce qui ne l’est pas, il convient de s’appuyer d’abord sur les dispositions légales qui nous indiquent que l’on ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et, plus généralement, dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public2. Encore faut-il également que la question soumise à arbitrage concerne des droits dont les parties ont la libre disposition3. C’est à ce titre que l’on a considéré comme exclu de l’arbitrabilité le contentieux de l’éviction. À l’origine, également, semblait exclu de l’arbitrabilité, pour les mêmes raisons, le contentieux de la validité des brevets, puisque la nullité d’un brevet prononcée par un juge a légalement un effet erga omnes4, ce à quoi s’opposerait bien évidemment une sentence arbitrale se prononçant sur une telle question entre deux parties. Mais les choses évoluent.

B. Quels sont aujourd’hui les contentieux arbitrables ?

On trouve en premier lieu, considérés comme arbitrables depuis les années 1960, les litiges portant sur des difficultés d’exécution contractuelle. – Les litiges en nullité/validité de brevets Revenant sur la position admise de la non arbitrabilité de ces litiges, la Cour d’Appel de Paris5, puis la Cour de Cassation6, ont décidé que les aspects de nullité/validité des brevets étaient arbitrables dans la mesure où il n’est pas demandé au tribunal arbitral de se prononcer à titre principal. La question de validité du brevet débattue de façon incidente peut ainsi être soumise à l’arbitre puisque l’invalidité éventuellement constatée n’aura d’effet qu’entre les parties. – Les litiges en contrefaçon, compte tenu de la position adoptée par nos tribunaux, pourraient donc être soumis à l’arbitrage. Si, à la demande de la partie défenderesse pour faire écarter la contrefaçon, les arbitres concluaient à la nullité du brevet, la sentence n’aurait d’effet qu’entre les parties. – Les arbitres pourraient se prononcer sur les demandes d’allocation de dommages-intérêts puisqu’elles n’intéressent pas l’ordre public (à l’exclusion de la saisie-contrefaçon). – Quant aux litiges portant sur des questions de propriété des brevets, leurs intérêts ressortent du privé et ils sont considérés depuis une vingtaine d’années comme arbitrables. Les tribunaux ont ainsi admis qu’était arbitrable un litige concernant la paternité d’une invention réalisée dans le cours d’un contrat autre que de travail7. – Finalement, restera non arbitrable le contentieux de l’éviction (expropriation, licence d’office, licences obligatoires) ainsi que le contentieux des actions pénales comme mettant en cause l’ordre public.

C. Les contrats internationaux

En présence d’un contrat international, les parties ont tout intérêt à recourir à l’arbitrage. Les parties pourront ainsi choisir le droit applicable approprié, sous réserve, bien entendu, des règles de police impératives, et seront donc placées dans une situation d’égalité quant aux normes nationales touchant à la propriété industrielle. Ensuite, il est important d’avoir recours à un tribunal neutre, sensible aux cultures, aux habitudes juridiques et à la langue des parties, siégeant, en outre, dans un pays à l’abri de toutes formes de pression et sans avoir à supporter le poids de la procédure judiciaire.

II –  Les avantages de l’arbitrage pour les litiges relatifs à la propriété industrielle

L’intérêt de l’arbitrage pour résoudre les conflits en matière de propriété industrielle doit s’apprécier au cas par cas, en fonction de chaque situation. En matière internationale, l’intérêt manifeste de l’arbitrage en matière de propriété industrielle est le traitement par un seul tribunal arbitral des litiges qui sinon devraient être portés devant les juridictions dans plusieurs pays. En effet, le risque est que les tribunaux conduisent ces procédures se déroulant en parallèle selon la loi de chacun de ces États. Quant aux parties, l’enjeu est pourtant de taille, puisque, outre la difficulté de gestion des actions menées en parallèle, aucune harmonie entre ces décisions n’est assurée aux parties qui subissent par ailleurs un coût liées à celles-ci. Ainsi, le recours à l’arbitrage constitue une démarche rigoureuse et efficace de gestion des différends. La confidentialité, si elle n’est pas écartée par les parties, présente un avantage indéniable. L’obligation de confidentialité couvre l’ensemble de la procédure arbitrale, la sentence arbitrale mais aussi les informations concernant l’objet du litige et les arguments des parties présentés lors d’un procès. Cette obligation s’impose tant aux arbitres, aux parties qu’à l’institution d’arbitrage. Chacun connaît qu’au cœur des grands enjeux qui concernent les entreprises, la protection des innovations est une question d’une importance cruciale. Certes, les brevets jouent un rôle déterminant dans cette protection. Mais souvent le contrat d’exploitation de brevets est couplé d’un contrat de transfert de technologie ou de savoir-faire, et dans un contexte de concurrence de plus en plus forte, l’arbitrage convient parfaitement pour les entreprises qui tiennent à assurer la confidentialité pour ne pas se faire voler un concept innovant, pour préserver le secret de fabrique ou un savoir-faire non breveté. Alors que les actes d’une procédure judiciaire terminée sont publics et donc accessibles à la concurrence. Il faut tenir compte d’un autre avantage de l’arbitrage – l’absence de formalisme et la souplesse dans le déroulement de l’instance. À la lecture du Règlement de l’ACPI, chacun peut constater qu’il permet d’organiser une procédure souple et efficace avec des délais très courts, laissant une large liberté aux parties et aux arbitres quant au choix du déroulement de l’instance. Lorsque l’arbitrage est interne, les arbitres sont dispensés de suivre les règles établies par les tribunaux, sauf volonté contraire des parties. S’agissant de l’arbitrage international, les arbitres ont une large liberté dans la conduite de la procédure, tout en veillant au respect des principes garantissant le procès équitable. En plus, les sentences ne sont pas susceptibles d’appel, seul le recours en annulation est alors ouvert aux parties. Selon des statistiques établies par l’Office Mondial de la Propriété Intellectuelle8, les litiges judiciaires nationaux durent en moyenne trois ans et internationaux trois ans et demi, alors qu’une sentence arbitrale est rendue dans un délai de l’ordre de un an. Le coût d’une procédure judiciaire extranationale est en général supérieur à 850 000 $, alors qu’une procédure arbitrale conduit à des coûts de l’ordre de 400 000 $. Enfin, les parties trouvent dans l’arbitrage, en choisissant leurs arbitres cette réponse à leur besoin de confier leurs litiges à des personnes neutres, qui leur inspirent confiance, en raison de leur maîtrise de la procédure d’arbitrage, mais aussi en raison d’une parfaite connaissance des questions touchant à la propriété industrielle, nécessaire pour le traitement du litige, et d’une sensibilité particulière aux enjeux nouveaux dans ce domaine auxquels les entreprises doivent faire face.

III –  L’intérêt de recourir à l’arbitrage selon le règlement d’arbitrage propre à la propriété industrielle – un arbitrage placé sous l’égide de la CAIP

La CAIP a fait le choix de proposer aux parties un Règlement spécifique – le Règlement de l’ACPI – qui traite les affaires relatives à la propriété industrielle et propose une liste d’arbitres hautement spécialisés dans cette matière. Le recours à l’arbitrage selon le Règlement de l’ACPI suppose un accord entre les parties à cet effet. La clause compromissoire devra donc viser expressément le Règlement de l’Association des Conseils en Propriété Industrielle, lequel prévoit l’organisation de la procédure d’arbitrage sous l’égide de la Chambre Arbitrale Internationale de Paris. Il n’y a pas de clause d’arbitrage idéale mais il n’est jamais assez de rappeler qu’elle doit englober tous les litiges découlant des relations entre les parties – sous réserve de ce qui a été précisé ci-avant – et être claire et simple.

A. Le rôle de la Cour d’Arbitrage

Il est utile d’évoquer la répartition des compétences entre la Cour Permanente d’Arbitrage de l’ACPI, sa Commission d’arbitrage, la CAIP et les Tribunaux arbitraux. En réalité, la Cour Permanente d’Arbitrage est composée de la CAIP et de la Commission d’arbitrage laquelle détermine les stratégies du développement de l’arbitrage et autres modes de résolutions de conflits au sein de l’ACPI et veille à l’application et à l’évolution de son Règlement. La Commission d’arbitrage a un autre rôle : elle établit la liste des arbitres de l’ACPI composées de personnes compétentes en matière de propriété industrielle qu’elle soumet ensuite à la CAIP. A son tour, la Chambre Arbitrale met cette liste gratuitement à la disposition des parties sur son site Internet. De plus, une autre attribution de la Commission est l’élaboration d’un barème des frais d’arbitrage que les parties peuvent consulter sur le site Internet de la CAIP. Cependant, compte tenu des circonstances, les frais d’arbitrage peuvent être fixés, exceptionnellement, à un montant supérieur ou inférieur à celui résultant du barème. Dans ce cadre, la décision est prise conjointement par le Président de la CAIP et le Président de la Commission d’arbitrage de l’ACPI. Enfin, la Commission statue sur les demandes d’accorder le bénéfice d’une procédure d’urgence. En ce qui concerne la CAIP, sa mission est d’administrer les procédures à l’aide du Secrétariat permanent composé de juristes spécialisés en arbitrage parlant plusieurs langues. La mission de constitution des tribunaux arbitraux est confiée à la CAIP. Cependant, la Commission d’arbitrage de l’ACPI, saisie par la CAIP, se prononce souverainement sur les demandes de récusation. Rappelons que l’ACPI propose une liste d’arbitres composée de conseils, ingénieurs ou consultant et de juristes (avocats), spécialistes expérimentés, qui maîtrisent parfaitement les arcanes de la propriété industrielle et qui possèdent des compétences en adéquation avec le domaine technique ou scientifique concerné. Outre les exigences tendant aux compétences nécessaires dans la résolution des litiges, les arbitres faisant partie de la liste d’arbitres de l’ACPI doivent exercer ou avoir exercé une fonction de Conseil en Propriété Industrielle ou d’avocat (art. 7 al. 1er du Règlement). Enfin, dans l’exercice de leurs missions, les arbitres devront s’astreindre à respecter un certain nombre de devoirs, tels que le devoir d’indépendance et d’impartialité et accepter expressément certaines obligations définies par la loi et la jurisprudence, par exemple, assurer sa mission avec compétence, diligence et pondération, se conformer aux dispositions du Règlement d’arbitrage de l’ACPI ou à toute dérogation dont les parties auraient convenues dans leur convention d’arbitrage.

B. La résolution des litiges sous le Règlement d’arbitrage de l’ACPI

Le Règlement de l’ACPI est adapté au règlement des litiges tant internes qu’internationaux en matière de propriété industrielle. L’ACPI propose plusieurs procédures d’arbitrage adaptées aux différents litiges. Tout d’abord, le Règlement de l’ACPI prévoit une procédure à degré unique, applicable de droit. C’est une procédure très complète qui permet d’analyser tous les aspects du différend dans le cadre d’un débat contradictoire approfondi. Cette procédure s’adapte à la plupart des cas de figure. En principe, le Tribunal arbitral statue en droit, sauf si les parties lui ont confié la mission de statuer en amiable composition. Une sentence définitive est rendue dans un délai maximal de six mois, prorogeable en cas de circonstances exceptionnelles. L’appel n’est pas ouvert aux parties. En second lieu, les parties peuvent solliciter l’application de la procédure d’urgence. Cette procédure est caractérisée par des délais très courts, imposés par le Règlement, et par le fait que la mission des arbitres ne dure que trois mois, prorogeable en cas de circonstances exceptionnelles. Cependant, les frais d’arbitrage sont plus élevés. La procédure d’urgence peut être sollicitée aux fins de voir statuer seulement sur une mesure provisoire ou de garantie. En effet, il est important de protéger la propriété industrielle par le biais de ces mesures, pouvant notamment viser à faire cesser la contrefaçon ou à la prévenir, tout en étant précisé que les mesures ordonnées par les arbitres ne s’imposent pas aux tiers. Le Tribunal arbitral est collégial ou à arbitre unique, si les parties l’ont prévu expressément. Sauf accord des parties sur le nom de l’arbitre unique, la Chambre Arbitrale le nommera d’office. Le choix de l’arbitre unique portera sur la liste de l’ACPI ou en dehors de la liste à condition que l’arbitre nommé exerce ou ait exercé une fonction du Conseil en propriété industrielle ou avocat. Afin de réduire les coûts et les délais de procédure, l’article 21 al.2 prévoit que le Tribunal arbitral peut statuer sur pièces si les parties le demandent ou l’acceptent. En outre, l’ACPI offre, au travers d’un règlement de médiation, la faculté de recourir à tout moment à une procédure de médiation afin de tenter de terminer la contestation par un accord amiable. Pour faciliter le recours à la médiation, le règlement d’arbitrage comporte désormais un article 2 qui permet aux parties à un litige de recourir à la médiation à tout stade de la procédure arbitrale. La représentation des parties est admise seulement par un conseil en propriété industrielle ou un avocat. Un pouvoir spécial pour représenter une partie à l’arbitrage est nécessaire. Il convient de préciser que la demande d’arbitrage doit être adressée à la Chambre Arbitrale. La date de l’introduction de la procédure d’arbitrage sera celle de la réception de la demande au Secrétariat de la Chambre Arbitrale. La rémunération des arbitres et du centre est effectuée selon un barème des frais établi en fonction du montant du litige qui est publié sur le site Internet de la CAIP. Conclusion L’ACPI, sous la présidence de Guillaume de La Bigne, présentait l’année 2014 comme une année marquée par une montée en puissance des actions de l’ACPI. Un résultat qui illustre bien l’importance accordée aux questions liées à la propriété industrielle par les entreprises, qui font désormais partie de leur stratégie et de leur compétitivité. Pour ces entreprises et dans un contexte de plus en plus favorable à l’arbitrage – même si le principe de l’arbitrabilité de certaines zones de la propriété industrielle est très attendu- la CAIP apporte son savoir-faire en matière de résolution de conflits issu de sa grande expérience de presque quatre-vingt-dix ans et, en collaboration avec l’ACPI, le met à la disposition des parties.

Notes

1. Article L 615-17 du Code de la Propriété Intellectuelle

2. Article 2060 du Code Civil

3. Article 2059 du Code Civil

4. Article L.613-27 du CPI

5. Paris, 1ère chambre, 28 février 2008

6. Chambre Civile 1, 12 juin 2013

7. CA Paris 1ère Ch. 31-10-2001

8. International Survey on Dispute resolution in technologies transactions – WIPO 2013

Pour en savoir plus : http://www.acpi.asso.fr/notre-association/chambre-arbitrage/