Nous avons évoqué dans notre précédent billet que seule une catégorie très limitée d’acteurs économiques peut bénéficier de la neutralisation des effets du non-paiement des loyers et charges de leurs baux professionnels ou commerciaux, et ce jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

https://lerins.com/confinement-ne-rime-pas-systematiquement-avec-suspension-des-loyers-i/

Les autres preneurs de baux professionnels ou commerciaux, dont notamment les grandes enseignes de commerce de détail, qui ne relèvent pas de ce régime de faveur, devront quant à eux appliquer les mécanismes prévus par le droit des contrats.

Beaucoup imaginent pouvoir invoquer la force majeure pour échapper à l’obligation de payer leur loyer durant la période de confinement imposée par l’épidémie de Codvid-19.

Or, l’invocation de cette notion ne permet pas d’échapper miraculeusement à ses obligations contractuelles, puisqu’elle ne dispense pas de justifier que sont réunies les conditions légales de la force majeure.

La force majeure et ses limites

En particulier, l’évènement doit être irrésistible ou « insurmontable » pour le preneur qui, s’agissant de son bail commercial, doit en particulier démontrer que les mesures restrictives prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 le mettent dans l’impossibilité de payer son loyer.

La fermeture des locaux imposée par la crise sanitaire suffit-elle à établir que le paiement du loyer est « irrésistiblement » empêché ? Tout dépend en réalité de l’activité que le preneur exerce dans les locaux.

Les entreprises dont l’activité économique est entièrement attachée à l’exploitation de leur local commercial, car elles y reçoivent les clients qui achètent leurs produits ou services (tout le commerce de détail ou de restauration, notamment), devraient pouvoir invoquer un cas de force majeure, puisque la fermeture du local va nécessairement impacter radicalement leur chiffre d’affaires. En outre, le bailleur n’est lui-même plus à même de satisfaire à sa propre obligation de délivrance, la force majeure suspendant donc l’exécution du contrat pour les deux parties.

Le preneur devra toutefois dans tous les cas démontrer qu’il est dans l’impossibilité réelle de payer son loyer, et pas seulement qu’il éprouve de simples difficultés financières pour le faire.

Ainsi, les grandes enseignes, a priori assises sur une trésorerie importante et bénéficiant comme tous des dispositifs gouvernementaux de report des cotisations sociales et des impôts directs, des mécanismes d’arrêt maladie ou de mise chômage partiel de leurs personnels, de l’accès à des crédits de trésorerie garantis par l’Etat, ou encore d’assurances pertes d’exploitation efficaces, ne pourront pas échapper aussi facilement à l’obligation de paiement de leur loyers.

Les juges qui auront à statuer après la crise prendront nécessairement en compte l’ensemble de ces éléments pour déterminer si la force majeure pouvait valablement être invoquée.

Seules les entreprises véritablement empêchées de payer leurs loyers du fait des mesures restrictives pour lutter contre l’épidémie devraient pouvoir suspendre leurs paiements au motif de la force majeure, sous réserve de le notifier en amont à leurs bailleurs et de respecter les modalités de mise en œuvre des éventuelles clauses de force majeure incluses dans leur baux.

Les entreprises dont la poursuite de l’activité demeure possible devront, pour leur part, démontrer que la baisse de chiffre d’affaires due à la crise sanitaire ne leur permet plus d’assurer le paiement de leurs loyers, enjeu délicat alors que la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu avoir l’occasion de juger qu’un débiteur de somme d’argent impayée ne peut s’exonérer de son obligation de paiement en invoquant un cas de force majeure.

Les effets de la force majeure

S’il remplit les conditions de la force majeure, le preneur pourra donc, sans en être sanctionné, suspendre le paiement de son loyer pendant la période où il est empêché de le payer (ATTENTION toutefois à une éventuelle clause de force majeure dans le bail prévoyant une durée de suspension limitée, voire une résolution du bail au-delà d’une durée maximale de suspension).

Toutefois, le preneur sera simplement autorisé à reporter le paiement de son loyer, la force majeure n’ayant pas d’effet libératoire.

Le preneur devra bien (malheureusement, ou heureusement pour le bailleur) payer son loyer une fois l’épidémie terminée et ne pourra bénéficier d’une « franchise » de loyer durant la période de gestion de la crise sanitaire.

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