Nous avons déjà précédemment évoqué qu’une catégorie très limitée d’acteurs économiques peut bénéficier de la neutralisation des effets du non-paiement des loyers de leurs baux professionnels ou commerciaux durant la présente crise sanitaire.
https://lerins.com/confinement-ne-rime-pas-systematiquement-avec-suspension-des-loyers-i/
Les preneurs non-éligibles devront s’en tenir aux mécanismes prévus par le droit des contrats, avec dans certains cas la possibilité d’invoquer un cas de force majeure permettant de suspendre temporairement le règlement de leurs loyers professionnels ou commerciaux.
La suspension du paiement des loyers pouvant s’avérer dramatique pour certains bailleurs, il est crucial d’évoquer les éventuels recours qui s’ouvrent à eux.
Quelles défenses pour les bailleurs temporairement privés de leurs loyers ?
Les bailleurs qui auront pris la précaution de se faire octroyer des garanties à première demande, en sus des dépôts de garantie, devraient pouvoir actionner celles-ci, s’agissant des baux et preneurs non visés par l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers (cette dernière interdisant, elle, expressément l’activation des garanties ou cautions), nonobstant la démonstration d’un cas de force majeure permettant aux preneurs de suspendre le paiement de leurs loyers pendant la durée de la crise sanitaire.
En effet, le caractère autonome de ce type de garantie, détaché du contrat de bail (contrairement à un cautionnement, qui en reste l’accessoire), permet sa mise en œuvre en l’absence de paiement du loyer, quel que soit le motif permettant au preneur d’échapper à son obligation de paiement.
Cela devrait ainsi permettre aux bailleurs, en particulier les bailleurs institutionnels qui se font souvent consentir de telles garanties, de ne pas rester sans ressources pour faire face ne serait-ce qu’aux charges relatives aux locaux qui, elles, continueront d’être exigibles.
Hormis ce cas particulier, les bailleurs ont-ils d’autres moyens d’actions, en particulier judiciaires, face à des preneurs de mauvaise foi qui se retrancheraient derrière la crise sanitaire que nous traversons pour suspendre l’exécution de leurs obligations ?
L’impossibilité temporaire de faire constater l’acquisition des clauses résolutoires ou de faire adapter le contrat par voie judiciaire
Il convient de souligner que même dans les cas où la force majeure ne pourrait être invoquée par les preneurs, la mise en œuvre des clauses résolutoires pour défaut de paiement des loyers sera en pratique impossible pendant la période de confinement actuelle, puisque les huissiers ne délivrent quasiment plus de commandements de payer et que le fonctionnement des juridictions est désormais limité aux seules instances urgentes ou au contentieux de la détention provisoire.
En tout état de cause, la prolongation des délais en cours, telle qu’elle résulte par ailleurs d’autres ordonnances issues de l’état d’urgence sanitaire, privera certainement d’efficacité les éventuelles actions prématurées des bailleurs (hors cas de mise en œuvre de garanties telles qu’une garantie à première demande).
La tendance est aujourd’hui clairement à l’anesthésie des sanctions, les pouvoirs publics ne pouvant pas psychologiquement laisser place à une « loi de la jungle », et les juges ne pouvant pas – pour autant qu’ils puissent siéger et se reconnaitre compétents – déroger à l’impérieuse nécessité de traiter les conflits de la période avec une extrême compréhension.
Rappelons en outre que même en cas de mise en œuvre de ce type de procédure après le confinement, les preneurs auront beau jeu d’invoquer l’article 1343-5 du Code civil, lequel permet au juge non seulement d’échelonner une dette mais également de la reporter, dans la limite de 24 mois, ce qui, compte tenu des conséquences exorbitantes de la crise actuelle, devrait être facilement accordé.
Quant au mécanisme de l’imprévision prévu par l’article 1195 du Code civil, qui permet aux parties de renégocier leurs contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de leur conclusion rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie, celui-ci n’est pas d’ordre public et est souvent contractuellement écarté par les parties dans les baux commerciaux.
Quand bien même ce texte resterait applicable, ce dernier prévoit qu’en cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.
Compte tenu de la fermeture des tribunaux, il n’est pas certain que le recours au juge au visa de l’article 1195 constitue la mesure la plus appropriée à ce stade.
Une nécessaire discussion entre bailleurs et preneurs
Au final, chacun devra préventivement exposer et justifier ses difficultés au cas par cas, pour espérer obtenir amiablement de son cocontractant un report ou un aménagement des échéances du loyer, sachant qu’en cas de désorganisation grave du bailleur ou du preneur (ou des deux), il sera illusoire de mobiliser le système judiciaire, devenu inaccessible.
Ceux des bailleurs pour lesquels le loyer a un caractère alimentaire (en général les moins nantis) risquent d’être les sacrifiés des choix contraints qui ont été opérés de soutenir certaines entreprises pour couvrir leurs charges, notamment locatives. Ces bailleurs risquent d’être placés dans des situations insolubles, sans espoir d’être individuellement secourus.
Nous ne pouvons donc que conseiller aux parties de se rapprocher spontanément, au besoin via l’entremise de médiateurs (qui traitent actuellement des dossiers en visioconférence), afin d’échanger sur leurs paramètres respectifs et de trouver une solution raisonnée, si la bonne foi est au rendez-vous.
Que ce soit en vertu du droit commun du louage d’immeuble ou en regard des lois et restrictions issues de l’état d’urgence sanitaire, il ne faudra en effet guère compter sur l’institution judiciaire pour arbitrer dans des délais raisonnables, sur la multitude des différends à naître des bouleversements actuels, dont on peine à maîtriser la durée.
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