La Cour de cassation tranche : la procédure d’injonction de payer échappe à l’obligation de tentative préalable de résolution amiable, même en cas d’opposition.

Cour de cassation, Chambre civile 2, 25 septembre 2025, 25-70.013, Publié au bulletin

 

Le 30 avril 2025, dans le cadre d’une procédure pendante devant le Tribunal judiciaire de Vannes, la Cour de cassation reçoit une demande d’avis ainsi formulée :

  • La demande de paiement d’une somme n’excédant pas 5.000 € formée par requête en injonction de payer doit-elle être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, sauf dispense réglementaire prévue au texte, à peine d’irrecevabilité ?
  • Le cas échéant, cette tentative de mode amiable de règlement du différend doit-elle intervenir avant le dépôt de la requête ou avant la signification de l’ordonnance ?

La Cour de cassation est d’avis que la procédure d’injonction de payer n’est, dans aucune de ses deux phases, soumise à l’obligation, prévue à l’article 750-1 du code de procédure civile, d’une tentative préalable de résolution amiable du différend.

  • Pourquoi cette exception à l’obligation de tentative de résolution amiable ?

La Cour de cassation justifie cette exception par deux arguments majeurs :

1. La nature dérogatoire et accélérée de la procédure d’injonction de payer

Cette procédure est conçue pour être rapide et simplifiée, afin de permettre aux créanciers de récupérer leurs créances sans passer par un procès long et coûteux.

Elle commence par une phase non contradictoire (le débiteur n’est pas entendu avant l’ordonnance). Imposer une tentative de conciliation ou de médiation avant cette phase irait à l’encontre de son objectif de célérité.

2. L’incompatibilité avec le caractère non contradictoire initial

La tentative de résolution amiable suppose un échange entre les parties, ce qui est impossible dans la première phase de l’injonction de payer, où le juge statue uniquement sur la base des documents fournis par le créancier.

Même en cas d’opposition (phase contradictoire), la Cour estime que le législateur n’a pas prévu d’appliquer cette obligation, car la procédure reste spécifique et encadrée par des règles propres.

  • Pourquoi cet avis fait-il débat ?

Il engendre un risque de déséquilibre entre célérité et équité, en effet certains juristes estiment que cette exception affaiblit la protection des débiteurs, surtout pour les petites créances où une médiation pourrait éviter un procès.

D’autres soulignent que la procédure d’injonction de payer est déjà encadrée (le débiteur peut s’opposer) et que l’obligation de résolution amiable alourdirait inutilement le processus.

Cet avis résulte d’une interprétation particulièrement restrictive de l’article 750-1 du Code de procédure civile.

En effet, la Cour considère que cette obligation ne s’applique pas à l’injonction de payer, car elle n’est pas expressément mentionnée par le législateur.

Certains critiques regrettent cette lecture stricte, arguant que l’esprit de la loi (i.e. favoriser les modes amiables) devrait primer.

Enfin, une telle position génère un risque de multiplication des oppositions, et pour cause, sans tentative de dialogue en amont, les débiteurs pourraient systématiquement s’opposer à l’injonction pour gagner du temps, ce qui encombrerait inutilement les tribunaux.

À l’inverse, les créanciers pourraient abuser de l’injonction de payer pour des créances contestables, sachant qu’ils n’ont pas à justifier d’une tentative de conciliation.

En tout état de cause, il ne s’agit là « que » d’un avis, et non d’une décision de rejet ou d’annulation, partant cette interprétation pourrait être remise en cause si le législateur modifie le texte ou encore si la Cour de cassation revient sur sa position.

 


Compte épargne-temps : la Cour de cassation rappelle le dirigeant à l’ordre

Cass. com., 17 sept. 2025, n° 23-20.052, Inédit

 

A l’occasion de la conclusion d’un accord concernant l’institution d’un compte épargne temps, le dirigeant d’une société n’a pas respecté la procédure requise en matière de convention réglementée qui aurait normalement dû être applicable.

En effet, selon les articles L. 225-86 et suivants du Code de commerce, toute convention entre une société et son dirigeant (ou une personne qui le représente) doit être autorisée préalablement par le conseil de surveillance (ou l’assemblée générale, selon les cas).

Or, la Cour d’appel refuse de condamner le dirigeant en paiement des sommes, considérant que, même si l’accord aurait dû être soumis à l’autorisation du conseil de surveillance, l’absence d’éléments permettant de caractériser une dissimulation par le président excluait la caractérisation d’une faute de celui-ci.

La société se pourvoit en cassation, estimant le seul non-respect de la procédure applicable en matière de conventions réglementées constitue en soi une faute du dirigeant intéressé.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon pour deux raisons fondamentales :

  • Elle rappelle que le simple non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue une faute en soi, indépendamment de l’intention frauduleuse.

C’est une violation des dispositions légales, sanctionnable même sans mauvaise foi.

  • Elle constate que la Cour d’appel avait ce faisant ajouté une condition non prévue par la loi : l’existence d’une dissimulation ou d’une fraude pour caractériser la faute.

La Cour de cassation corrige cette interprétation : la faute réside dans le manquement aux règles de gouvernance, point final. Peu importe que le dirigeant ait agi de bonne foi ou non.

  • Quelle leçon en tirer pour les mandataires sociaux ?

Le respect scrupuleux des règles de gouvernance et notamment des dispositions relatives aux conventions réglementées est de mise : toute convention conclue entre la société et ses dirigeants (rémunération, avantage, dispositif d’épargne), si elle ne porte pas sur une opération courante conclue à des conditions normales, doit obligatoirement être soumise à l’autorisation préalable des organes délibératifs ou de contrôle de la société.

Aucune exception ne doit être tolérée, même si le dirigeant agit dans l’intérêt de l’entreprise ou sans intention malhonnête, l’absence d’autorisation expose à des sanctions.

Un dirigeant qui ne respecte pas ces règles s’expose à :

  • l’annulation des conventions et partant la restitution des sommes perçues ;
  • des dommages et intérêts envers la société.

Une vigilance accrue est recommandée pour les sociétés à gouvernance bicéphale (i.e. à directoire et conseil de surveillance), comme les sociétés anonymes qui doivent être particulièrement rigoureuses.

 


Preuves déloyales : la Cour de cassation autorise les détectives privés… sous conditions 

Cass. com., 17 sept. 2025, n° 24-14.689, Publié au bulletin

 

Le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Provence-Alpes-Côte d’Azur soutient qu’un dirigeant et sa société exercent illégalement la profession d’expert-comptable.

Il sollicite en deux temps : d’abord par requête, la désignation d’un commissaire de justice (ancien huissier) pour procéder à des constatations dans les locaux de la société EB Gestion (ordonnance sur requête accueillie) ; puis, en référé, après que le commissaire eut réalisé ses opérations, une injonction de cesser toute prestation de comptabilité, ainsi qu’une provision à valoir sur réparation du préjudice.

La Cour d’appel rejette ses demandes, considérant notamment que le rapport d’enquête établi par un détective privé et produit au débat était irrecevable comme étant issu d’un procédé déloyal.

Le demandeur se pourvoit en cassation, au moyen que lee droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation rappelle que l’illicéité ou la déloyauté d’une preuve ne suffit pas à l’écarter systématiquement. Le juge doit évaluer sa proportionnalité :le droit à la preuve peut justifier l’utilisation d’une preuve obtenue de manière discutable, à condition que cette preuve soit indispensable et que l’atteinte aux droits de la défense (ou à d’autres principes) soit strictement proportionnée au but poursuivi.

De plus, la simple saisie informatique de données comptables ne relève pas, à elle seule, du monopole des experts-comptables. Il faut une activité d’analyse, de conseil ou de certification pour que cela tombe sous leur compétence exclusive.

La Cour de cassation pose un cadre pour l’admission des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale.

1. Pas d’exclusion automatique

Une preuve obtenue par ruse, tromperie ou même illégalement (ex. : enregistrement clandestin, infiltration sous faux prétexte) n’est pas systématiquement rejetée.

2. Un contrôle de proportionnalité obligatoire
Le juge doit mettre en balance le droit à la preuve, les droits antinomiques en présence et la proportionnalité en d’autres termes : l’atteinte est-elle strictement limitée à ce qui est nécessaire pour faire valoir le droit ?

3. Des critères concrets pour les juges

La nécessité : aucune autre preuve n’est disponible pour établir les faits.

La gravité de l’atteinte : le procédé est-il gravement illicite ou simplement déloyal ?

Le but poursuivi : la preuve sert-elle à défendre un droit fondamental ou un intérêt mineur ?

Cet arrêt, dans la lignée de celui rendu par l’assemblée plénière le 22 décembre 2023, commenté par notre associé, Laurent BERNET, ouvre la porte à une utilisation plus large des preuves « grises », mais avec un contrôle renforcé.

On s’interroge sur la façon dont les Cours d’appel vont appliquer ce critère de proportionnalité. Une inflation de demandes fondées sur des preuves déloyales sont probablement à attendre…